Nintendo renoue avec sa guerre contre les ROMs
La firme de Kyoto est de nouveau sur le pied de guerre contre les sites proposant des ROMs, ces copies numériques de ses jeux classiques. Nintendo et son allié Sega ont déjà fermé les site Rom Universe et LoveROMs il y a deux ans, mais récemment c’est le site très populaire VIMMS Lair qui a reçu l’ordre de cesser ses activités pour infraction au copyright.
Cette offensive n’est que le dernier épisode d’une lutte incessante menée par Nintendo contre ce qu’elle considère comme une violation de ses droits. La société justifie cette position en expliquant que l’émulation à partir de ROMs constitue une forme de piratage, même si les joueurs possèdent les jeux physiques d’origine. Les représentants de Nintendo affirment qu’il s’agit d’un combat vital pour protéger les revenus de l’entreprise et la création future.
Depuis les années 90 et les premiers succès de l’émulation sur PC, Nintendo s’est dressé comme un fer de lance dans cette croisade juridique. Après des années de procédures et de pressions sporadiques, le géant de Kyoto a décidé de hausser le ton au début des années 2020. Les sites d’émulation sont désormais dans la ligne de mire et régulièrement attaqués en justice pour violation des droits d’auteur. Une stratégie de la terre brûlée qui vise à les pousser à la fermeture.
Cependant, de nombreux fans et observateurs s’interrogent. En rayant d’un trait de plume ces bibliothèques en ligne, Nintendo ne fait-elle pas disparaître une part essentielle de son riche patrimoine vidéoludique ? De nombreux jeux anciens ne sont tout simplement plus disponibles autrement que par émulation. C’est notamment le cas de certaines productions Neo Geo qui n’ont jamais connu de réédition moderne. Ou de nombreux jeux Nintendo 64 et GameCube, dont les codes sources ont été perdus.
Les défenseurs des ROMs arguent que cette pratique permet de préserver des pans entiers de l’histoire du jeu vidéo, qui risqueraient sinon de tomber dans l’oubli. Ils assurent que les véritables fans continueront d’acheter les rééditions officielles, et que l’émulation ne nuit donc pas réellement aux ventes actuelles. Ils dénoncent l’approche de Nintendo, qu’ils jugent trop intransigeante et obtuse envers sa propre histoire.
Pour ces militants, effacer les ROMs revient à nier tout un pan culturel essentiel. Le jeu vidéo fait désormais partie intégrante du patrimoine artistique mondial. Ses productions historiques, même anciennes, doivent pouvoir être conservées et rejouées pour être appréciées par les nouvelles générations, au même titre que les films ou livres classiques. L’émulation offre cette possibilité de faire perdurer ces œuvres majeures, dont beaucoup ne peuvent d’ailleurs pas être réachetées légalement.
Du côté de Nintendo, on rétorque qu’il est primordial pour l’éditeur de défendre becs et ongles ses droits de propriété intellectuelle. La firme déplore que les plateformes d’émulation enfreignent la loi en proposant des copies complètes et gratuites des jeux. Tolérer le partage illégal de ROMs reviendrait selon elle à ouvrir la boîte de Pandore et fragiliser tout le modèle économique de l’entreprise.
Les avocats de Nintendo arguent également que les jeux d’aujourd’hui dépassent leur simple dimension de divertissement. Ils exigent des millions d’heures de développement et des budgets faramineux, impossibles à rentabiliser si le piratage devient la norme. Préserver l’avenir créatif du secteur impose donc de défendre mordicus les droits d’auteur.
N’est-ce pourtant pas au prix d’un appauvrissement de notre mémoire vidéoludique collective ? Les jeux d’hier font partie intégrante de la culture populaire d’aujourd’hui, plaident les défenseurs de l’émulation. En les rayant de la surface de la planète, n’est-on pas en train d’effacer une partie de notre histoire culturelle ? Un débat de fond semble inévitable sur le statut patrimonial à accorder ou non aux productions vidéoludiques anciennes.
Le débat fait ainsi rage chez les fans, entre respect des droits et préservation du patrimoine. Difficile d’avoir sur ce sujet épineux une position tranchée. Seule certitude : ce bras de fer oppose depuis des années deux visions irréconciliables de l’héritage vidéoludique. Et le clivage ne semble pas près de se résorber, les deux camps campant sur leurs positions diamétralement opposées.